Havre Musical de l’Islet : la félicité dans un détour inattendu

Parfois, l’expérience Vénusienne surgit dans un détour inattendu, dans une chambre modeste ou un détail apparemment banal. À l’Isle-aux-Coudres, c’est ce que nous avons découvert : la vérité que le Vénusien se vit moins dans l’apparence que dans l’ouverture de nos sens.

Nous avions fui la chaleur suffocante et la fumée des feux de forêt qui couvraient Montréal pour chercher un souffle d’air plus pur. La route nous a menés jusqu’au traversier de Charlevoix, puis sur cette petite île entourée du fleuve, où un motel que nous ne connaissions pas avait encore de la place. Pas un lieu luxueux, pas une destination choisie des mois d’avance, mais une improvisation guidée par la vie.

En arrivant, nous avons pique-niqué sur les galets dorés par le soleil couchant. Le fleuve brillait comme une mer d’ambre, et chaque bouchée de pain frais, de fromages locaux, de fruits cueillis le jour même goûtait la richesse de l’instant.

Après une promenade pieds nus dans le vent indigné, nous sommes revenus à notre chambre.

À première vue, la salle de bain ne semblait pas vénusienne : une lumière blanche trop crue, un bruit mécanique agaçant, un décor sans trop de charme. J’ai regardé le bain, et j’ai senti monter en moi une certitude qu’il n’y aurait pas de plaisir accessible ici.

Mais au lieu de résister, j’ai choisi de me glisser dans ce qui était là, d’être curieuse. Lumière éteinte, dans le noir complet, le bain chaud m’a enveloppée tandis que la brise du fleuve entrait par la fenêtre. Un piano exquis s’élevait doucement : c’était l’album du propriétaire, diffusé dans chaque chambre par de petits haut-parleurs. À l’arrière-plan, le ressac des vagues se mêlait à la musique.

Le contraste est devenu divin : l’eau chaude enrobant mon corps, la fraîcheur du vent sur ma peau, l’obscurité qui amplifiait chaque son, chaque souffle. Mon amoureux allongé dans la pièce voisine, sa présence respirant avec la mienne, sans paroles. Un état de félicité inattendu m’a traversée, plus fort que dans bien des lieux luxueux où pourtant rien ne manquait, sauf l’âme.

J’ai compris que ce n’était pas le décor qui rendait ce moment vénusien, mais ma propre disposition : ma capacité à accueillir, à recevoir l’imparfait et le laisser se révéler en matière sensorielle, à laisser mes sens tisser l’expérience. C’est là la véritable essence de la vie vénusienne : une souplesse intérieure, un abandon qui permet à la beauté d’éclore là où on ne l’attend pas.

Je suis sortie de mon bain et j’ai marché pieds nus dans l’herbe, guidée par le vent. Un petit banc avait été placé là, dans un angle stratégique, avec une vue infinie sur le fleuve. Je me suis assise, j’ai écouté les vagues et laissé les odeurs, les sons, les sensations me traverser. En observant autour, j’ai remarqué les autres bancs, les petits lampadaires, les silhouettes déposées dans le calme : des gens seuls à contempler l’horizon, des têtes posées l’une contre l’autre, immobiles. C’était cinématographique. Et j’ai senti la beauté de l’endroit se révéler en moi, lentement. Ce n’était pas un lieu qui cherchait à impressionner; il invitait simplement à se déposer, à s’ouvrir, à recevoir.

À l’Isle-aux-Coudres, j’ai appris qu’on peut atteindre des sommets de délice dans les recoins les plus simples, pourvu qu’on accepte d’habiter l’instant tel qu’il est.

HAVRE MUSICAL DE L’ISLET

(Isle-aux-Coudres)

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